La France est très riche en matière de patrimoine bâti et naturel : au titre du code du patrimoine plus de quarante-cinq mille neuf cent quatre-vingt-onze immeubles protégés au titre des monuments historiques1 qui génèrent des abords et plus de neuf cent quarante sites patrimoniaux remarquables2 , mais qui ne représentent que 6% seulement du territoire national3 , et au titre du code de l’environnement près de deux mille sept cents sites classés (environ 1,8% du territoire) et quatre mille cinq cents sites inscrits, plus de 4% du territoire national au total.
Dans ces espaces protégés, l’ABF rend deux types d’avis, obligatoires, sur les travaux qui y sont menés : l’accord (expression d’un avis “conforme” qui lie l’autorité compétente en matière de document d’urbanisme) qui peut être assorti de prescriptions motivées4 et l’avis (de nature “simple”, qui ne lie pas l’autorité compétente en matière d’autorisation de travaux mais oriente sa décision). En dehors des espaces protégés, l’avis “consultatif” de l’ABF, facultatif, peut être sollicité lorsque son expertise est nécessaire5 .
Les avis émis par les ABF sont donc nombreux6 : les accords dans les sites patrimoniaux remarquables (SPR) ; dans les abords des monuments historiques, les accords pour les travaux situés dans les périmètres délimités des abords (PDA) ou dans le champ de visibilité des monuments historiques et les avis “simples” pour les travaux situés hors champ de visibilité des monuments historiques ; les avis “simples” dans les sites classés ; dans les sites inscrits, les accords pour les travaux de démolitions et les avis “simples” pour les autres travaux ; et enfin les avis “consultatifs” pour les travaux en dehors des espaces protégés.
Parmi ces nombreux avis, les accords ne constituent qu’une partie : l’accord de l’ABF est requis pour les travaux en SPR qui peut être couvert par un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) et/ou un plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine (PVAP), pour les travaux en PDA ou dans le champ de visibilité des monuments historiques, pour les enseignes installées sur des monuments historiques, ainsi que pour les permis de démolir en site inscrit.
L’accord au titre du code du patrimoine est transformé en avis “simple” pour les antennes de téléphonie mobile, les immeubles insalubres et ceux menaçant ruine7 .
En cas de silence de l’architecte des bâtiments de France, son accord est réputé donné8 .
L’accord de l’ABF est légalement très encadré : d’une part il doit prendre en compte plusieurs critères d’appréciation en fonction de la nature de l’espace protégé, d’autre part il est soumis à un contrôle administratif et juridictionnel.
Son intérêt est incontestable et l’affaiblir en le transformant en avis “simple” constitue un risque accru pour la dégradation des espaces protégés.
Le cadre légal de l’accord de l’ABF
En site patrimonial remarquable
Les SPR sont des zones urbaines (villes, villages ou quartiers), éventuellement accompagnées d’espaces ruraux et de paysages qui forment avec elles un ensemble cohérent, qui présentent un intérêt public historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager. Les objectifs du classement en SPR sont clairement annoncés à deux reprises dans le même article aux premier et dernier alinéas : la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur9 . Dans ces sites, deux outils de gestion peuvent être mise en œuvre : le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) et/ou le plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine (PVAP).
En SPR, l’accord de l’ABF est requis pour les travaux susceptibles de modifier l’état des parties extérieures des immeubles bâtis ou non bâtis et ceux susceptibles de modifier l’état des éléments protégés par le PSMV10 .
Pour donner son accord, l’ABF s’assure du respect de l’intérêt public attaché au patrimoine, à l’architecture, au paysage naturel ou urbain, à la qualité des constructions et à leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant. Il s’assure, le cas échéant, du respect des règles du PSMV ou du PVAP11 .
Aux abords de monuments historiques
La protection au titre des abords s’applique aux immeubles, bâtis ou non bâtis, qui forment avec un monument historique un ensemble cohérent ou qui sont susceptible de contribuer à sa conservation ou à sa mise en valeur. Elle concerne tous les immeubles situés dans un périmètre délimité des abords (PDA) et ceux situés à moins de cinq cents mètres d’un monument historique et dans son champ de visibilité (visible du monument historique ou visible en même temps que lui12 depuis un tiers point13 ).
Pour les immeubles protégés au titre des abords, l’accord de l’ABF est requis pour les travaux susceptibles de modifier l’aspect extérieur des immeubles, bâtis ou non bâtis14 .
Pour donner son accord, l’ABF vérifie que les travaux envisagés ne portent pas atteinte à la conservation ou à la mise en valeur du monument historique ou des abords15 ; il s’assure également du respect de l’intérêt public attaché au patrimoine, à l’architecture, au paysage naturel ou urbain, à la qualité des constructions et à leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant16 .
En site inscrit
Les sites sont protégés lorsque leur conservation ou leur préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général17 . Les arrêtés énumèrent les critères qui ont motivé leur protection.
En site inscrit, l’accord de l’ABF est requis pour les travaux de démolition18 .
Pour rendre un accord, l’ABF apprécie si les travaux de démolition portent atteinte à la conservation ou à la préservation du site ; ce contrôle n’est pas suffisant, il faut encore que le caractère ayant motivé sa protection n’ait pas été largement altéré19 .
Sur un monument historique
Ici le seul accord de l’ABF est requis au titre du code de l’environnement20
sur l’installation d’enseigne sur un monument historique.
Chaque projet étant unique, le contrôle de l’ABF se fait au cas par cas ; ce contrôle suit bien des critères d’appréciation définis par la loi qui viennent d’être exposés.
De plus, le contrôle effectué par l’ABF est à son tour soumis à un contrôle administratif et juridictionnel dans le cadre d’un recours.
L’accord de l’ABF, soumis à contestation dans le cadre d’un recours
L’accord de l’ABF étant un acte préparatoire, n’est pas une décision susceptible de recours direct en annulation devant le juge21 mais peut être contesté à l’occasion d’un recours administratif et contentieux.
En cas de désaccord avec la position de l’ABF, celle-ci peut être contestée par l’autorité compétente en matière d’autorisation de travaux ou par le demandeur de l’autorisation de travaux, auprès du préfet de région dans le cadre d’un recours administratif22 . Le préfet de région peut confirmer ou infirmer l’avis de l’ABF et sa décision s’y substitue.
Contestation par l’autorité compétente en matière d’autorisation de travaux
L’autorité compétente étant liée par le refus d’accord ou les prescriptions émises par l’ABF, elle ne peut s’y opposer qu’en formulant une contestation devant le préfet de région.
Le recours administratif exercé par l’autorité compétente s’exerce après réception de l’avis de l’ABF, au cours de la procédure d’instruction de l’autorisation de travaux ou de la déclaration préalable.
Contestation par le demandeur d’une autorisation de travaux
Pour contester la position de l’ABF, le demandeur doit exercer un recours administratif auprès du préfet de région, qui est un recours préalable obligatoire (RAPO)23 avant de saisir le juge administratif (recours contentieux). Le RAPO est exercé à l’occasion du refus d’autorisation de travaux fondé sur un refus d’accord de l’ABF24 .
Le RAPO devant le préfet de région n’est pas obligatoire en cas de recours contre un refus de permis de démolir en site inscrit fondé sur l’opposition de l’ABF.
Lors du recours contentieux, le juge administratif exerce un contrôle normal sur la position de l’ABF (accord assorti ou non de prescriptions, ou refus). Ce contrôle porte sur tous les aspects de la légalité, externe (des questions de compétence ; des questions de procédure ; des questions de forme dont la motivation des actes) comme interne (l’erreur de droit, dont la méconnaissance du champ de son contrôle et donc de sa compétence ; l’erreur de qualification juridique des faits et l’erreur d’appréciation, le juge vérifie que l’atteinte aux abords du monument est exactement qualifiée et caractérisée ; l’erreur de fait, le juge contrôle l’exactitude matérielle des faits ; le détournement de pouvoir).
L’intérêt de l’accord de l’architecte des bâtiments de France pour le cadre de vie urbain
L’intérêt de l’accord de l’ABF réside en ce qu’il lie l’autorité compétente en matière d’autorisation de travaux lorsqu’il s’agit d’un refus ou d’un accord assorti de prescriptions. C’est en cela que la protection du patrimoine dans les espaces protégés est renforcée. Si en dehors de ces espaces, les autorités locales ont le pouvoir de s’opposer aux projets25 , ce pouvoir est renforcé en espace protégé grâce à l’accord de l’ABF.
Cet accord ne doit pas être regardé comme un pouvoir “arbitraire” de l’ABF qui s’imposerait sans aucun garde-fou à l’autorité compétente. Nous l’avons vu, l’ABF a l’obligation légale de suivre des critères d’appréciation lors de son analyse et son avis peut également faire l’objet d’une contestation à l’occasion d’un recours.
A contrario, l’avis dit “simple” ne lie pas l’autorité compétente, celle-ci étant libre de suivre ou pas les recommandations de l’ABF. En cela, cet avis n’est pas protecteur.
Car si l’ABF est le garant de la protection du patrimoine, qui est son principal intérêt et domaine de compétence, l’autorité compétente a, elle, de nombreux intérêts, dont le patrimoine n’est qu’un parmi d’autres : production de logements, renouvellement urbain, rénovation du bâti pour répondre aux besoins sanitaires ou énergétiques, développement économique etc. Sans compter que de nombreuses collectivités locales disposent de peu d’ingénierie territoriale ; dans ce cas, l’expertise de l’ABF est d’autant plus précieuse.
Alors dans ce contexte, l’ABF avec son accord demeure le principal acteur de la sauvegarde du patrimoine architectural, urbain et paysager français.
Malgré son intérêt évident dans la protection du patrimoine, l’avis “conforme” de l’ABF a fait l’objet de nombreuses “attaques”. Souvent pris pour cible lors des débats parlementaires, considéré comme empêchant les projets de se développer librement sans aucune entrave, il a, par exemple en 2009, été transformé en avis “simple” dans les anciennes ZPPAUP pour ensuite être de nouveau rétabli.
En 2018, la loi ELAN l’a aussi affaibli, le transformant en avis “simple” pour les antennes de téléphonie mobile, les immeubles insalubres et ceux menaçant ruine.
Dans ces cas, il existe des risques que les espaces se dégradent avec le temps.
L’exemple le plus parlant étant les sites inscrits. La dégradation irrémédiable de certains sites inscrits a été actée lors de leur désinscription récente . L’avis “simple” de l’ABF en site inscrit (à l’exception des travaux de démolition) ne peut pas aider à les conserver ou les préserver lorsqu’ils subissent des pressions d’urbanisation26
.
Un autre exemple édifiant est le cas des antennes de téléphonie mobile : les opérateurs refusant ou ne pouvant pour la plupart mutualiser leurs infrastructures, des immeubles se retrouvent dotés de nombreuses antennes, les unes plus grandes que les autres, sans cohérence d’ensemble et dégradant ainsi le cadre urbain. Les collectivités locales, souvent dépourvue d’ingénierie et ne pouvant ou ne souhaitant que rarement s’y opposer sous la pression , se retrouvent démunies. Ici encore, l’avis “simple” de l’ABF ne parvient pas à protéger les abords et les SPR devant le raz de marée d’antennes installées sans tenir compte du caractère des lieux, des sites, des paysages naturels ou urbains, des perspectives monumentales.
Ces dégradations du cadre urbain sont l’exemple parfait du risque de l’absence de l’accord de l’ABF.
- Ministère de la Culture, Chiffres clés. Statistiques de la culture et de la communication 2019, mai 2019 ↩
- Ministère de la Culture, Data Culture 2021 ↩
- Question n°2452- Assemblée nationale, publiée au JO le 25 octobre 2022 ↩
- c.patr., article L 632-2 ↩
- Décret n°2010-633 du 8 juin 2010 relatif à l’organisation et aux missions des directions régionales des affaires culturelles ↩
- En 2021, les ABF ont instruit plus de cinq cent quinze mille quatre cents dossiers, tous types de travaux confondus, dont seuls 7% ont fait l’objet d’un avis défavorable (source : ministère de la Culture, Question n°2452- Assemblée nationale, publiée au JO le 25 octobre 2022) ↩
- c.patr., article L 632-2-1 ↩
- c.patr., article L 632-2 ; c.urb., article R 423-67-2 ↩
- c.patr., article L 631-1 ↩
- c.patr., article L 632-1 ↩
- c.patr., article L 632-2 ↩
- c.patr., article L 621-30 ↩
- Le tiers point peut se situer en dehors du périmètre des cinq cents mètres : CE 1re - 4e ch. réunies, 05.06.2020, n°431994 ↩
- c.patr., article L 621-32 ↩
- Ibid. ↩
- c.patr., article L 632-2 ↩
- c.env., article L 341-1 ↩
- c.urb., article R 425-18 ↩
- CAA Marseille, 23 avr. 2010, Indivision Lanteri, no 08MA01689 ↩
- c.env., article R581-16 ↩
- CE 19 février 2014, n°361769 ↩
- c.patr., article L 632-2 ↩
- CE, avis, 30.06.2010, n°334747 ↩
- CE 31 mars 2017, Cne Saint-Tropez, n° 395010 ↩
- Le projet peut être refusé ou faire l’objet de prescriptions au titre de l’article R 111-27 du code de l’urbanisme « si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». ↩
- « Le suivi de l’évolution des sites inscrits par les services de l’Etat prend généralement la forme d’un avis simple de l’ABF sur les travaux à réaliser, sauf pour les démolitions qui ne peuvent intervenir qu’avec son accord exprès. Cette procédure qui est suffisante pour les sites inscrits sans pression, s’est révélée insuffisamment efficace pour préserver les caractéristiques des espaces soumis à des pressions d’urbanisation consacrées par des documents d’urbanisme. Dans ce cas, l’avis au cas par cas de l’ABF ne tient pas toujours (cas de sites comme le golfe du Morbihan ou la bande littorale ouest des Alpes maritimes) face à des élus qui ne les relayent pas. », Etude d’impact 2014- projet de loi relatif à la biodiversité, Loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ↩